Eurydice ; but i see your true colors. terminé !

Hésione avait froid, il faisait froid. Et le fait d’être exposée nue aux yeux de qui voulait bien la voir n’arrangeait guère les choses. La jeune fille lança un regard circulaire, elle allait mourir, et ce à cause de son propre père, Laomédon. Nue mais parée de tous ses bijoux et attachée à un rocher sur le rivage de Troie, elle sentit les vagues lui caresser la plante des pieds. Doucement, elle ferma les yeux, et attendit que la mort vienne la prendre.

Quelques heures plus tôt.

KARAELYS = Poséidon a vaillamment bâtie toutes ces murailles autour de Troie, et toi, qui te proclame roi de ce lieu, tu refuses de lui payer son salaire ?
LAOMEDON = Patience ! Tu parles de choses dont tu ne connais rien. Je le paierais, plus tard.
KARAELYS = Il est déjà trop tard Laomédon, il a envoyé un monstre marin sur la cité, celui-ci va manger tous tes hommes, puis il s’en prendra aux femmes. Et ce par ta faute Laomédon, sois-en fière !
LAOMEDON = Nous allons trouver une solution, il y en a toujours.
KARAELYS = Tu as entendu ce que t’as dit l’oracle. Il n’y a guère de solution, hormis donner ta fille en offrande à Poséidon.
LAOMEDON = Je vais le faire. Elle comprendra.

Il n’avait plus le choix désormais. Il avait pourtant essayé de tous les faires changés d’avis, les personnes qu’il dirigeait. Mais personne n’avait voulu l’entendre, il avait fait une erreur et il fallait qu’il l’assume. Mais malheureusement, c’était sa fille qui devait en payer le prix. Elle qui était totalement innocente dans cette histoire, elle devait mourir, dévorée vivante par un monstre marin, c’était, à en croire l’oracle, sa destiné. Le pire dans tout cela, c’est que Laomédon savait pertinemment que sa fille n’allait pas se plaindre et qu’elle allait se rendre à son triste sort avec fierté, la fierté de pouvoir sauver son peuple. Le roi marchait rapidement, d’un pas pressé et surtout anxieux, il ne l’était que trop. Sans qu’il ne s’y attende, Hésione descendit la rue afin de venir à la rencontre de son père. Un grand sourire fendit son visage et elle fit rebondir ses lourdes boucles brunes sur ses épaules en sautillant. Elle n’était encore qu’une enfant. Certes, elle avait dés à présent le corps d’une femme, mais elle sautillait et riait toujours comme une enfant. Il la fixa et baissa les yeux, honteux de ce qu’il allait devoir lui apprendre.

HESIONE = Ca ne va pas papa ?
LAOMEDON = Hésione, ma chérie, tu vas mourir.

Il faut une fin heureuse à tout.

« La mort est douce. Calme. Apaisante. Protectrice. Jamais je n’aurais cru l’accueillir avec autant de bonheur. C’est peut-être le fait de mourir pour mon peuple qui me procure un tel bien-être. Car je sais que je n’aurais fait que de bonnes choses dans ma vie, et ma vie d’ailleurs, je la laisse ici, ici et ailleurs, à présent j’irais là ou le vent m’emportera, sans regrets. Certes, j’attendais plus de la vie et je donnerais de nombreuses choses pour vivre quelques années encore, mais cette mort me semble charitable. » C’est le discours qu’Héraclès entendit lorsqu’il vint briser les chaines de la jeune fille. Caché derrière le rocher, il avait attendu qu’elle finisse de parler toute seule, peut-être se confiait-elle à quelqu’un de mort comme l’on parle à son défunt grand-père en regardant les cieux, ou peut-être disait-elle cela pour passer le temps, juste comme ça. En tous les cas, il avait été touché par les quelque phrases de la demoiselle, et surtout par cette jeune femme toute entière, qui, entièrement nue, avait été offerte à un monstre par son propre père. Sa destinée n’était pas là, non, il comptait bien que la jeune fille eût encore du temps à passer sur terre, et à ses côtés.




DORIAN = Je veux que tu changes de métier.
EURYDICE = Et moi je veux une maison rien qu’à moi.
DORIAN = Je ne rigole pas ! Je suis on ne peut plus sérieux, tu fais vraiment un métier pourri. Tisseuse, mais c’est un véritable gâchis, tu es d’une minutie exemplaire, extraordinaire, certes il en faut pour tisser, mais tu pourrais faire beaucoup plus.
EURYDICE = Ecoute Dorian, t’es bien gentil mais lâche moi avec ça, je vais ça parce que ça me plait, et puis on en a déjà parlé, je ne veux pas faire un autre métier. Tu comprends ? Moi mon truc c’est d’être comme tout le monde, de me fondre dans le moule, et je m’en sors pas trop mal.
DORIAN = Tu manques cruellement d’ambition ma belle !
EURYDICE = Et toi t’as manqué l’occasion de te taire.

Ceci était une discussion type qu’elle avait avec son meilleur ami, Dorian. Qui d’ailleurs devait être un de ses seuls amis. Bizarrement elle aimait mieux la solitude que d’avoir des amis tous plus hypocrites les uns que les autres. Eurydice n’avait jamais réussit à faire confiance à autrui, c’était un fait. Elle se méfiait toujours de tout le monde et lorsqu’on lui promettait quelque chose, elle avait toujours l’impression que l’auteur de ladite promesse ne tiendrait pas parole. Parfois c’était vrai, même trop souvent d’ailleurs, et c’est sans doute pourquoi elle ne changea jamais vraiment d’avis sur le monde extérieur. Craintive ? Peut-être. En tous cas une chose était sûre, Eurydice était loin d’être courageuse. Certes elle est prête à se sacrifier pour n’importe quoi, mais c’est surtout, pour ne rien vous cacher, afin de se faire bien voir, et très orgueilleuse elle ne supporte pas d’avoir tord ou que quelqu’un fasse mieux qu’elle.

Dans son atelier.

Eurydice fit jouer ses doigts fins et longs entre les filles qu’elle maniait depuis une heure avec habilité. Elle tissait encore et toujours, c’était son métier après tout et elle ne vivait que de cela, mais ça lui plaisait bien. Ce métier avait un côté assez atypique qu’elle ne lui expliquait pas, et elle ressentait une telle joie lorsqu’elle avait finit un vêtement qu’elle ne changerait de métier pour rien au monde. C’était également un peu sa fierté, celle de voir les regards brillants des personnes auxquelles elle annonçait qu’elle était tisseuse. La jeune fille arrêta soudainement ses occupations lorsqu’elle entendit la porte de l’atelier s’ouvrir, une seule personne en avait les clefs hormis elle-même : Dorian. Et en voyant les cheveux blonds hirsutes du jeune homme apparaître, elle se rassit, rassurée. Il prit une chaise multoclore et la posa aux côtés de la jeune femme en commençant le récit de sa journée, comme il avait l’habitude de le faire.

DORIAN = Aujourd’hui tu sais qui j’ai revu ? Kate, oui, Kathleen. Tu y crois ? Je marchais dans la rue quand elle m’est rentrée dedans, elle a donc commencé à me parler de sa voix mielleuse lorsque j’ai poussé un cri en voyant son ventre gros comme un ballon. Non mais je te jure, elle m’annonce du jour au lendemain qu’elle s’est trompée, qu’elle n’est pas faite pour moi, elle part de Santorin, et quand elle revient, elle a un polichinelle dans le tiroir ! Et si … et si c’était le mien Eury ? T’imagines un peu ? termina-t-il essoufflé d’avoir fait un si long discours.
EURYDICE = Et beih ! dit-elle seulement tellement les mots lui manquaient. Je ne sais pas te dire, vraiment. Il faudra que tu lui demandes, c’est le seul moyen de savoir. Parce que sinon elle risque de débarquer un jour et de te demander de l’argent pour un gamin que tu n’as jamais connu. Pour ma part j’ai terminé un vêtement aujourd’hui, et j’en commence un autre.
DORIAN = Oui tu as raison, je lui demanderai, merci Eury. D’ailleurs je n’ai jamais osé te le demander, mais maintenant qu’on en est aux confidences, pourquoi tu ne m’as jamais parlé de ta vie ? De tes parents ? Tu ne me fais pas confiance ? Tu sais je comprendrais.
EURYDICE = Pas de quoi, c’était avec plaisir. Bien sûr que je te fais plaisir Dorian, simplement ma vie est on ne peu plus banal, je n’ai rien à raconter. Ok ?
DORIAN = Ok.

Elle avait menti.

Neuf ans plus tôt.

Assise à côté de ses parents, Eurydice n’était pas tranquille, elle faisait claquer son élastique autour de son poignet avec plus de vigueur qu’elle n’en avait jamais eu. Elle aurait du être en cours à l’heure qu’il était, elle aurait dû apprendre les langues et d’autres choses au lieu de rester assise sur la chaise étrangement blanche d’une salle d’attente d’un hôpital. Elle allait rater sa première année de lycée et le savait pertinemment, mais ça n’était pas grave, elle la recommencerait. Elle préférait milles fois ça plutôt que de regarder des professeurs s’égosiller pour donner tant bien que mal un cours, des élèves tout sourires devant d’autres aux visages défaitistes tandis que son frère était en train de mourir. A quinze ans elle s’était jugée assez mûre pour prendre ses décisions. Et puis, qui la contredirait ? Sûrement pas sa mère, toujours le nez dans un verre, et pas son père non plus, trop occupé à travailler. Elle ne le blâmait pas, elle était même fière de lui, il n’avait jamais eu de chance, il avait voulu construire une belle petite famille avec une jolie petite femme pleine d’enthousiasme, et il avait obtenu une famille déchirée, une femme alcoolique, un fils malade, et une fille qui ne rêvait qu’à être tisseuse, il ne lui restait plus que ses yeux pour pleurer. Eurydice jeta un coup d’œil vers lui, son père lui fit un petit sourire, mais le cœur n’y était pas, elle le lui rendit, sans y croire elle non plus. Puis elle risqua un regard vers sa mère, maigre comme un clous le nez rougis, elle n’arrivait pas à savoir quelle expression arborait sa mère. Trop occupés à s’examiner, ils ne virent pas le médecin entrer, seule Eurydice se leva pour aller le rejoindre. Il ne parlait qu’à elle depuis le début, sachant bien qu’il serait moins dur que les parents apprennent les mauvaises nouvelles –parce qu’il n’y en avait jamais de bonnes – de la bouche de leur fille plutôt que de la sienne.

PAUL = Vous m’avez demandé de tout vous dire sans passer par quatre chemins, alors je vais vous le dire sans attendre. Le cancer s’est propagé dans les poumons.
EURYDICE = Docteur, faites quelque chose s'il vous plait. Il n'a jamais fait de mal à personne et ne mérite pas cela.
PAUL = Hélas, je ne peux plus rien faire. Eurydice, votre frère est décédé aujourd’hui à 17h47.

En Islande une petite fille avait fait tombé sa glace préférée par terre, en Russie un couple avait fait l’amour pour la première fois, en France un homme venait d’apprendre la grossesse de sa femme, et en Grèce, Axel Kavafis venait de mourir d’une leucémie, à 17h47.