Beauty, Treason } ELECTRA

Comment la lune avait-elle donc un jour pu exister? Était-il réellement possible que le soleil dardant alors la forêt de ses rayons meure et renaisse chaque jour? Il semblait si puissant alors qu'il éclairait les pas de la jeune femme qui sentait sous ses pieds nus l'humidité d'un sol copieusement arrosé, abreuvé d'une pluie récente et pourtant déjà si loin. Les arbres multicentenaires qui pompaient l'eau de la terre verdoyaient en créant tout autour un effet d'ombrage en parfait constrate avec celle qui y promenait son corps délicat. Illuminée comme si les rayons d'Hélios la poursuivaient de leur ardente luminosité, Harmonie s'arrêtait çà et là, de telle maniere que tout spectateur aurait pu croire avoir affaire à une jeune femme égarée. Et pourtant, celle dont l'existence même était le fruit de l'union de deux dieux du panthéon de l'Olympe se dirigeait vers un point précis de cette forêt fournie, accélérant le pas alors qu'elle apercevait la souche si caractéristique qui siégeait exactement au milieu de la lande. Y promenant ses longs doigts froids comme la glace, ses yeux couleur de lune examinant chaque détail, reconnaissant chaque aspérité sous sa peau de neige... Depuis sa naissance elle venait ici, dans cette forêt, toujours à proximité de cette souche de bois. Qu'importait un simple aspect d'une forêt qui détenait tant de souches, tant d'arbres? Ses premiers souvenirs conscients se trouvaient ici, c'était près de cette souche qu'Harmonie avait fait ses premiers pas balbutiants et si peu assurés, tentant de peine et de misère de rejoindre quelque oiseau s'étant posé sur une branche afin de faire entendre son doux chant. Son regard s'égarait parmi les couleurs de l'été, celles qui se reflétaient sur la robe blanche enserrant son corps frêle et délicat, et elle finit par s'asseoir, lissant les plis de son habit. Son mariage avait lieu le jour-même, et étonamment, aucune parcelle de doute ni de peur ne subistait en son esprit serein alors qu'elle pensait à ce qui se préparait, ce bouleversement énorme qui changerait sa vie. Ce jour-là, elle unirait sa vie à celle de Cadmos, futur roi de Thèbes.

* * *

2300 ans passaient bien plus rapidement que tout ce que l'on pouvait imaginer, quand notre vie est parsemée de malheurs qui se suivent les uns les autres en une longue chaîne de déceptions de de tragédies... Il fallait également préciser qu'Électra avait vécu de nombreuses existences, se réincarnant après chacune d'entre elles et oubliant chaque fois ses souvenirs datant de sa vie précédente. N'était-ce pas énervant, ne pas se souvenir, pas même de sa vie d'origine? Car alors qu'elle foulait ce qui restait de la forêt d'enfance d'Harmonie, elle n'était qu'assaillie d'une sensation très forte de déjà-vu. Un minuscule parc, voilà ce qu'il y avait. La sensation de manque, de vide, même, l'accablait. Électra n'était pas revenue en ces bois depuis le jour fatidique de son mariage, plus de 2300 ans plus tôt, bien que sur le coup, elle ignorait ce que cela impliquait. Comment aurait-elle pu, de toute manière... Elle ne se souvenait de rien, pas même du plus important détail de sa vie d'origine: le cadeau maudit d'Aphrodite, forgé par Hephaistos lui-même, le fameux collier. Un collier qui lui avait porté malheur au cours de toutes ses incarnations, et dont elle ne se rappelait pas. Son collier était un élément de mystère. Depuis toujours, depuis le début de son cycle de réincarnations, elle ne savait nullement pourquoi, à l'âge de 7 ans, Électra trouvait un collier. Toujours au même endroit: la crypte de la famille Dûnos. Et chaque fois, son collier ne la quittait plus, puisque son attachement pour ce dernier grandissait avec le temps. "Mon précieux", aurait-elle pu le qualifier... Jamais il ne la quittait, y étant très... attachée. Vraiment, quelle ironie. Au fond, son inconscient devait bel et bien être masochiste. On l'avait maudite. Maudite à ne jamais pouvoir connaître l'amour, car ce présent au goût amer de cendres amenait le malheur chez tous les gens qui le portaient.

Qu'est-ce que le malheur avait de plus chiant, selon beaucoup? Son étonnante faculté à sembler s'acharner sur une seule personne, continuellement, jusqu'à ce que la victime finisse par lâcher prise, vaincue. Mais surtout parce que personne ne savait vraiment pourquoi le Sort s'acharnait sur cette personne. Alors que faire, que faire, quand on a l'impression que toutes les catastrophes possibles tombent sur soi? Elle n'avait pas remis les pieds dans cette forêt depuis plus de 2000 ans, mais n'en était même pas consciente... Comme c'était agaçant, cette sensation de croire se trouver dans un endroit particulièrement important, mais ne pas savoir pourquoi... Electra était atteinte bien souvent de ces sensations de déjà-vu agaçantes... Comme si elle était bien consciente de faire quelque chose d'important sans en connaître la raison...

Le hic c'était que justement, elle ne se souvenait pa de grand chose concernant sa première vie, à peine quelques bribes ici et là, des flashs d'éléments plus importants que les autres, qu'elle ne comprenait pas. D'où venaient ces fichus souvenirs? Car la jeune femme avait le même visage qu'Électra... Le regard couleur de lune d'Électra s'attarda sur le sol à ses pieds. Goudron, ciment, béton... constructions de quelque matière qu'elles soient, mais plus de forêt. Disparues, les centaines d'hectares où vivaient des abres centenaires et magnifiques, disparus les animaux vivant dans ces terres autrefois si belles et si riches. Elle le savait bien: sur une petite plaque de bronze reposaient quelques lignes expliquant la fin tragique de la forêt... Electra savait que quelque chose d'important s'était autrefois passé ici, que le sentiment étrange de sûreté qu'elle ressentait était dû à un souvenir ancien, un morceau de mémoire qu'on lui aurait pris, arraché. Les sourcils froncés, la jeune femme arrêta ses yeux sur un arbre. Unique et ancien, à faire froid dans le dos au milieu de ce parc pour enfants, l'antique végétal, dernier végétal survivant de cette forêt. Tordu, immense et ancestral, il semblait à moitié mort... Pourtant, les plus hautes branches non-loin de la cime survivaient tant bien que mal, nourries par les chauds rayons du soleil. Elle alla s'asseoir sous ses branches sèches faisant naître des ombres inquiétantes, et vit alors la poupée. Une minuscule poupée de chiffon, délavée par les intempéries et qui pourtant gardait cet attrait qui avait fait qu'on l'avait achetée. Quelqu'un avait fait l'acquisition de cette petite création de chiffon, l'avait offerte à une fillette qui l'avait aimée, aimée... elle l'avait cajolée contre son coeur avec affection, sûrement cette poupée avait-elle été importante pour elle... Davantage troublée qu'elle n'aurait désiré le laisser paraître, Électra cueillit la poupée entre ses doigts minces et blancs, sentant l'humidité du tissus sur sa peau, et la serra contre elle, baissant doucement la tête tandis que ses yeux pâles se recouvraient lentement de ses paupières légèrement maquillées.

« Petite poupée de cire, poupée de son ... » Ces vieilles paroles de chanson lui vinrent à l'esprit tandis qu'entre ses fines mains Électra tenait doucement sa trouvaille... La découverte de cette poupée sur ce lieu qui avait été important pour elle lors de sa première vie, elle s'en doutait, la chamboulait, sans que la jeune femme sache réellement pourquoi. Les larmes aux yeux, pinçant les lèvres, Electra ramena ses jambes contre elle en position foetale, imitation parfaite de la gamine tentant avec bien peu de succès de se protéger d'on ne savait quoi... Pauvre, pauvre poupée qui avait causé tant de chagrin à sa propriétaire... C'était toujours ainsi, après tout: on pleure quelque peu et on fait une nouvelle acquisition sans le moindre remords pour l'ancienne. Sentant un léger sanglot monter dans sa poitrine, fait étonnant puisqu'Électra était d'ordinaire l'incarnation du contrôle de soi, elle finit par se relever doucement, s'appuyant à l'ancerstral arbre. Sans un mot, presque machinalement, elle inséra la poupée dans son sac à main et quitta le parc pour enfants. Cette poupée avait été recueillie. Cependant, Électra savait quant à elle très bien que bien des poupées resteraient à jamais seules et abandonnées, car quelqu'un avait un jour décidé qu'elles ne connaîtraient jamais le bonheur...