Cléanthe ; nothing else matters. | finished

La chaleur était épouvantable. Ses mains étaient moites, et il pouvait sentir de maudites gouttes de sueur perler sur son front. Sa cravate était trop serrée et lui serrait la gorge d’une manière désagréable. Il avait l’impression que la sale entière avait les yeux rivés sur lui et sur le minuscule accroc qu’il avait fait à son pantalon en sortant de la Jaguar, une heure plus tôt. Bref, toutes les conditions étaient réunies pour qu’il se sente au plus mal. Mais Cléanthe Odusseús ne s’était jamais senti aussi heureux de sa vie. Pas très à l’aise, certes. Mais il respirait la joie et la béatitude, et c’était tout ce qui comptait. Pour le plus beau jour de sa vie, tous ces petits désagréments physiques n’existaient plus. Les gens qui étaient rassemblés dans le jardin du luxueux hôtel étaient sa famille, ses amis, les gens qui comptaient le plus pour lui. Mais il aurait tout aussi bien pu être seul. Seul avec elle. Le reste n’était que poudre aux yeux, apparence. Seul leur volonté comptait.

« Cléanthe Ulysse Odusseús, voulez-vous prendre pour épouse Psamathé Cassandre Gavalas ici présente ? »

Se pouvait-il qu’à seulement 22 ans, il se mariait avec une jeune fille, à peine une femme de deux ans sa cadette ? La réponse était oui, et sans aucune hésitation. Parce qu’il était définitivement et irrémédiablement amoureux, parce qu’il n’imaginait même pas de vivre sans elle, parce qu’elle était devenue plus importante que quiconque autour de lui.

« Je le veux »

Sa voix s’était serrée et il n’avait put empêcher un stupide trémolo de venir interférer dans ses paroles, alors que cent fois il avait répété, cent fois il s’était entraîné. Mais rien n’aurait pu le préparer à cette déferlante d’émotions dévastatrices, qui étaient en train de lui faire perdre tous ses moyens. Mais même ça, ce n’était rien. Elle avait serré sa main dans la sienne, douce pression contre sa paume qui avait effacé le reste. Elle avait ses yeux plongés dans les siens, elle avait fait une promesse. Elle serait sa femme, maintenant et à jamais.



6 months earlier

« Je vais me marier. »
« … !! » Un silence plus que révélateur. Outré. Ils espèrent avoir mal compris.
« … » Juste le temps pour qu’ils reprennent leurs esprits. Ils avaient parfaitement compris.
« Tu n’es pas sérieux ! »
« Je suis tout ce qu’il y a de plus sérieux. Je vais me marier avec Psamathé. »
« Mon Dieu, protégez-nous de la stupidité de mon fils » Une main parfaitement manucurée portée à son front, les yeux levés au ciel. « Tu la connais depuis un an à peine ! »
« Lena. Laisse-le parler. » Une voix sans appel. Pas vraiment engageante, mais pas décourageante non plus.
« J’ai déjà demandé sa main à ses parents. Ils sont d’accord. »
« Bien entendu qu’ils sont d’accord, elle va hériter de ta fortune et tu … »
« Lena ! Ca suffit. »
« … » Elle était furieuse, mais elle obéit. Sage décision.
« Bien. Continue, fils. »
« Nous pensions nous marier ce printemps. Sans doute à la mi-mai. Elle aura terminé ses examens, nous pourrons nous installer à Santorin. » Une multitude de rêves, bientôt à portée de main.
« Tu as ma bénédiction. Ainsi que celle de ta mère. » Un sourire dans la voix. Mais de la fierté, surtout.

Cléanthe se laissa tomber dans le canapé et desserra sa cravate en soupirant d’aise. Quelques instants plus tard, une main fraîche vint de balader dans son cou, et il esquissa un sourire. Le visage de Psamathé apparut à ses côtés et déposa un baiser sur sa joue, avant de disparaître à nouveau de son champ de vision. Il entendit ses pas derrière lui, le bruissement de sa robe de lin, et puis elle fut là, juste à côté de lui. Superbe apparition que celle de cette femme aux traits si fins, au sourire si doux. Superbe apparition qui était sienne.
Psamathé s’assit à côté de lui sans un bruit, et le contempla pendant quelques secondes sans rien dire.

« Tu as l’air épuisé. »

Il haussa les épaules. Il était épuisé. Il avait passé toute la journée à courir sur cette île, à parlementer avec des fournisseurs réticents et des clients mécontents. Mais la journée n’avait pas été mauvaise, dans l’ensemble. Et elle était terminée. Il retrouvait enfin le calme de son propre foyer, et la sérénité de sa femme était le meilleur des remèdes à une journée de travail éreintante. Il aimait la retrouver le soir, oublier tout le reste et seulement profiter des moments avec elle. Il passait ses journées à donner des ordres et à négocier, toujours sur la brèche sans pouvoir s’arrêter un instant. Il aimait ça, c’est vrai. Il n’avait jamais été taillé pour rester assis sans rien faire, il avait besoin d’action. Mais quand venait le soir, sa vie se mettait sur pause grâce à elle et il savourait ces moments où elle faisait de lui un autre homme.

« Rien d’insurmontable. Ta journée s’est bien passée ? »

Elle hocha distraitement la tête et lui parla de ses quelques clients, ainsi que d’une pièce qu’elle venait de terminer et dont elle était très fière. Il ne put s’empêcher de sourire : en cela, elle était encore restée une enfant, et il trouvait ça adorable. Elle n’avait pas besoin de travailler pour gagner sa vie : Cléanthe était le gérant du meilleur hôtel de l’île, et l’héritier d’une fortune assez colossale. C’était d’ailleurs pour ça qu’elle avait voulu travailler, pour pouvoir faire ce qu’elle voulait, sans se soucier de l’argent qu’elle ramenait à la maison. Et elle en parlait avec passion, bien plus que lui quand il évoquait son travail. Il l’enviait, dans un certain sens. Mais il ne voulait changer sa place pour rien au monde. Gérer l’Astartes lui avait toujours parut un travail de titan, dont il n’avait pas pensé devoir assumer la tâche aussi tôt. Mais son père avait eut un accident de moto et avait du se reposer sur son fils un certain temps … Jusqu’à lui laisser sa place définitivement pour prendre une retraite anticipée. Les premiers temps avaient été rudes pour Cléanthe, mais il s’en était sorti. Sa femme avait une énorme part de responsabilité là-dedans : sans elle et sa confiance inébranlable, il aurait sans doute lâché prise depuis longtemps. Mais à présent, il aimait son boulot. Le contact avec les clients, les responsabilités … Il avait l’impression d’avoir prit dix ans d’un coup, et il n’était pas encore au stade où l’on regrette sa jeunesse. Et ces derniers temps, il avait une nouvelle raison pour aimer son travail. Une raison qui portait l’uniforme de l’office de tourisme, une raison aux yeux pétillants et au sourire franc.

« Je t’aime. »

Elle sourit, et il enfouit son visage dans ses cheveux, dans son cou. Il s’imprégna de son odeur, pressa sa peau contre la sienne. Il l’embrassa, encore et encore, comme s’il avait besoin de se convaincre de la sincérité de ses paroles. Oui, il aimait Psamathé, plus qu’il n’avait jamais aimé personne au monde. Il était heureux avec elle, plus qu’il n’avait jamais rêvé l’être avec quiconque. Alors pourquoi le visage d’Anthéa venait-il le hanter aux moments les plus inopportuns ? Pourquoi une jeune femme qu’il connaissait à peine hantait-elle avec désinvolture son esprit et ses rêves ?



2 months earlier

« Bonjour, vous désirez ? » A peine un regard. Une voix lasse, tellement vieille dans un corps si jeune.
« Je dois parler avec mademoiselle Iordanou. »
« Je vais voir ce que je peux faire pour vous. »

« Monsieur Odusseùs ! Je ne vous attendais pas si tôt. » Un sourire, un peu forcé sans doute.
« Vous voulez que je repasse ? » Il ne veut pas la déranger, pourtant son emploi du temps est plein à craquer. Il repassera si elle le lui demande.
« Non, non, entrez. J’ai retrouvé le dossier que vous m’aviez demandé. »
« Ah. Merci. » Il prend le dossier, lui jette à peine un regard.
« … »
Le silence s’éternise.
« Vous aviez besoin de quelque chose d’autre ? »
« Hm. Non, pas pour l’instant. Merci beaucoup mademoiselle, vous m’êtes d’une aide précieuse. »
« S’il vous plaît, appelez-moi Anthéa. Je suis plus jeune que vous, et vous me parlez comme si j’étais une ancêtre. »
« Désolé, c’est l’habitude … Vos collègues sont toutes plus âgées que vous. » Il se raidit. Il a parlé trop vite, elle va sans doute se vexer.
« Evitez de me mettre dans le même panier qu’elle, dans ce cas ! » Son sourire est éclatant.
« Je m’en souviendrais, Anthéa. » C’est la première fois qu’ils échangent plus que des formalités, et il a apprécié ce moment. Etrange.